« L’exemple de l’Aubrac montre qu’un pays qui associe le développement technologique et la valorisation de son patrimoine naturel et culturel dans une dynamique collective, peut retrouver un développement territorial remarquable. » Claude Béranger et André Valadier
Les schémas dominants du milieu du siècle dernier ont eu pour effet de faire des agriculteurs et éleveurs de simples producteurs de matière première. Matière qui serait ensuite transformée par l’industrie agroalimentaire avant d’être distribuée au consommateur, évacuant par là toute relation entre producteur et consommateur, entre consommateur et territoire. Cette relation s’était pourtant construite au fil du temps et, pour identifier les produits, les races animales, ou autres objets qu’ils avaient appréciés et remarqués, les consommateurs avaient donné aux produits le nom du pays et du village dont ils étaient issus : fromage de Laguiole, couteaux de Laguiole, race aubrac, aligot de l’Aubrac…
Dans les années 80 la démarche du syndicat fut de replacer le produit fini au cœur du système, au cœur de cette relation, il devait redevenir le sens et la finalité de l’activité laitière. Le produit fini, ainsi créé par la dynamique d’un terroir qui relocalise sa valeur ajoutée peut désormais être qualifié de « produit alimentaire territorialisé ». La qualité globale d’un tel produit peut s’assimiler à un indicateur synthétique de développement durable rendant compte en partie de la bonne gestion et du bon fonctionnement territorial aux trois niveaux : social, environnemental et économique. Vecteur de vie et d’organisation sociale, de respect de l’environnement et des ressources naturelles ; de dynamisme économique, il marque l’évolution de ces types de territoires : leur passage d’une tradition vivrière à une création locale de valeur ajoutée par le jeu de la mobilisation des ressources humaines et naturelles dans un contexte appelé aujourd’hui de développement durable.
« Nous payons cher le fait que la paysannerie ait été réduite à sa fonction de production agroalimentaire. On a éliminé ses fonctions écologique, de création du lien social et culturel, d’aménagement du territoire, qu’exprimait bien le si beau mot « paysans » — c’est-à-dire dont le métier était de faire vivre un pays au-delà de la seule satisfaction des besoins alimentaires. (…) [beaucoup] ne voient pas à quel point la paysannerie, qui englobe encore la moitié de l’humanité, est un métier d’avenir. » Patrick Viveret (dans Pour un nouvel imaginaire politique)
Le panier de biens
À l’occasion d’un programme de recherche sur la « multifonctionnalité des espaces ruraux », le Cemagref (Irstea, Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture depuis novembre 2011) a mis en évidence l’existence d’un « panier de biens territorialisés », c’est-à-dire d’un ensemble de produits offerts aux consommateurs sur un même territoire.
Les viandes certifiées de race Aubrac, les charcuteries, la gastronomie, les couteaux, le fromage AOP de Laguiole et l’Aligot de l’Aubrac font partie de ce « panier de biens territorialisés » et, pour les deux produits fromagers, c’est le lait cru qui constitue le lien le plus intense avec le milieu naturel et permet au producteur de rester élaborateur.
Selon le chercheur Dominique Vollet, l’effet panier de biens « implique que soient réunies trois conditions :
Une gamme de produits complémentaires (biens et services) avec des interactions réciproques fortes.
Une combinaison de produits et d’un cadre naturel, patrimonial qui renforce l’image et la réputation de qualité du territoire.
Une demande des consommateurs difficile à satisfaire dans d’autres territoires pour des produits et services de qualité ancrés dans un territoire spécifique. »
On peut citer ici les éléments qui sont à l’origine de ce constat :
La race aubrac est en expansion, d’autant que sa réputation s'affirme au-delà de ses qualités d’élevage. Deux démarches sous signe officiel de qualité sont bien engagées : le « Bœuf fermier Aubrac » bénéficie d’un Label Rouge et la « Fleur d’Aubrac » bénéficie de la reconnaissance IGP (Indication géographique protégée).
Le fromage de Laguiole, AOC depuis 1961 et AOP depuis le 22 octobre 2001, qui ne représentait plus que 25 tonnes en 1959, retrouve aujourd’hui le tonnage annuel du début du siècle, soit 700 tonnes : c'est la reconquête des volumes d'antan.
L'Aligot de l’Aubrac, qui entreprend lui aussi une démarche en IGP, plat jusque-là confidentiel mis au point par la coopérative Jeune Montagne à partir d'une recette traditionnelle de la région, est sur une courbe ascendante de + 20 % par an.
La coutellerie, qui a nécessité un réapprentissage complet du métier sur des bases modernes, génère deux cents emplois sur le site.
Et enfin le tourisme, « bien fédérateur qui permet la diffusion du panier, propulsé par le succès exceptionnel de l’Aligot de l’Aubrac, plat identitaire par excellence, par le rayonnement international de Michel et Sébastien Bras et la notoriété gastronomique des lieux (Aubrac, Site remarquable du goût ; Laguiole, Ville gourmande 2001). La filière tourisme sur l’Aubrac aveyronnais est en pleine expansion malgré une segmentation départementale du tourisme en Aubrac. »